Titre : De l'empathie...
Auteur : Kisshun
Mail : kisshyoga@yahoo.fr

Genre : un peu angst (si vous n’aimez pas que Quatre « ait mal », il vaut peut être mieux ne pas lire), UA, OOC(mais le OOC existe-t-il vraiment^^ ?)

 

« De l’empathie… »

 

Les gens marchaient à mes côtés dans la rue et ils me transperçaient.

Je ne savais pas comment les autres pouvaient rester calmes quand ils arrivaient dans une grande ville. Je me disais : « On arrive toujours du coté des gratte-ciel », et ils m’angoissaient terriblement. J’essayais de les dominer, de dominer le sentiment écrasant qu’ils m’inspiraient, mais c’est toujours eux qui gagnaient. Tout me passait à travers, et je n’arrivais pas à réunir ces sensations en une entité qui serait moi, je n’avais pas d’existence propre. Je me sentais transparent. Je ne pouvais même pas exprimer une souffrance personnelle, car si je les recevais de plein fouet, je n’avais même pas l’impression que ces sentiments m’appartenaient.

C’est pourquoi j’essaye d’écrire, pour tenter de me retrouver en décelant une unité dans tout ça. J’avais déjà essayé auparavant, mais c’était trop dur, j’étais bien trop dissolu.

Je me dis que j’ai plus de chances d’y arriver aujourd’hui. Je le désire aussi, car maintenant que j’ai changé, j’ai étrangement envie de retrouver ces sensations, même si elles étaient une source de douleur. Elles me constituent néanmoins, et je ressens le besoin de me les approprier.

Pourtant, malgré les progrès que j’ai fais, cela me demande un effort particulièrement pénible. J’ai encore trop de mal à me concentrer.

 

C’était la même chose quand je couchais. Je n’arrivais pas à décrire ensuite ce qui c’était passé, comment était le corps de l’autre, son sexe et ce qu’on avait fait. J’étais dans l’incapacité de rassembler mes idées. C’est pour cela qu’il me fallait des choses extrêmes pour marquer mes souvenirs. Je me créais une sorte d’identité facile à décliner, je parlais de cul tout le temps, me valorisant de mes expériences en prenant des airs ingénus. Cela m’évitait de réfléchir vraiment à qui j’étais, tout en me réjouissant de mon esprit aventureux. Je profitais de mon physique de gamin. Je ne sais plus dans quel magasine féminin j’ai lu que les Lolitas n’étaient pas de stupides potiches, mais avaient un esprit d’enfant froid et manipulateur.

Je ne suis pas parfait physiquement, trop petit, trop fluet. Mais je suis bien cambré, le cul bien rond, toujours les cheveux ébouriffés, et mes yeux sont bleus et immenses. Je ne suis pas beau, mais mignon. Et je prends sans cesse des « attitudes. » Tout cela m’a valu d’avoir de vieux amants qui m’apportaient la violence dont j’avais besoin. Ils me frappaient, me pissaient dessus, et ils m’appelaient leur petite pute. Ils m’infantilisaient et me donnaient des fessées. J’aimais le contraste de ma jeunesse avec leur ruine. Je portais de petits uniformes. J’adorais les accessoires, qui me permettaient de transférer mon affectivité sur des objets moins dangereux pour moi. J’ai toujours préféré les hommes sans que cela ne me pose de problème existentiel.

J’aimais rentrer de chez mes amants au petit matin, mes habits et mon visage défaits. Les gens me regardaient drôlement, comme s’ils comprenaient ce que j’avais fais, et conformément à ma nature maso, j’adorais mettre en scène ma dépravation.

J’étais étudiant et je ne glandais rien. Il me fallait un rendez-vous par jour au minimum pour me sentir bien. Ce que j’aimais aussi, c’est coucher en trio, mais dans ce cas, plutôt avec des garçons dont l’age était proche du mien. Cela m’apportait une complétude qu’aucune autre mise en situation ne m’a donnée.

Le sexe violent me permettait de tout oublier, les endroits trop laids ou trop beaux, les gens que je comprenais si bien qu’il me semblait que leurs âmes rentraient dans mon corps et tuaient la mienne, comme si j’avais mille esprits dans ma tête qui étouffaient le mien.

J’ignore ce qui a pu me rendre comme ça. Peut être parce qu’étant enfant, j’étais si sage qu’on me laissait dans mon coin. Je devinais instantanément ce que les adultes attendaient de moi, et je devenais aussitôt leur projection d’enfant idéal pour les complaire. Je n’avais rien à faire d’autre que de m’asseoir dans l’infinité de grandes pièces qui composaient la demeure immense où je vivais. C’est là que les choses, les décors, les êtres, ont commencé à me transpercer et me faire mal.

J’avais l’impression de comprendre si bien les gens, que je me fondais en eux. Au départ, je me disais que j‘étais mégalo, qu’il me semblait déchiffrer les êtres alors que je ne faisais que plaquer sur leur personnalité des fantasmes de mon propre imaginaire.

Mais j’ai constaté que les prédictions que je me faisais sur la façon dont ils allaient réagir se réalisaient toujours.

Je ne savais pas ce qui m’arrivait, je me morcelais complètement. Souvent je rêvais que j’arrachais la peau de mon visage comme une mue, sans que cette mutilation ne me cause de douleur.

Un jour, je suis tombé dans mes lectures sur le mot empathie et sa définition, et j’ai pu prendre ainsi un  peu de recul.  Avant, quand je n’en parlais encore à personne, j’avais l’impression que c’était normal d’avoir ces impressions immenses, et je n’analysais même pas que c’était pour moi une souffrance. Je sentais, c’est tout.  Des sensations pernicieuses, des variations incessantes d’une petite nostalgie cruelle qui me transperçait tout le temps, des impressions submergeantes et fascinantes, comme de pénétrer dans un nouvel univers à chaque pièce d’une maison ou en regardant chaque passant. C’était ça, j’étais dans la fascination perpétuelle. Tout était si grand que j’étais anéantie en permanence. Je demandais à des connaissances s’ils avaient des impressions comme les miennes. Ils ressentaient bien des trucs, mais pas avec la même force et la même acuité, la même violence. Souvent, ils ne comprenaient pas ce que j’essayais d’expliquer.

J’étais léthargique, je dormais beaucoup. 

Alors j’essayais de me raccrocher à ce mot, « empathie », comme à une bouée de secours. C’était toujours plus fort que ma volonté, et je me disais, « laisse Quatre, laisse tomber, c’est l’empathie, il faut que tu te reprennes »… Mais j’étais toujours le plus faible, même en essayant de catégoriser par un mot ces sensations complexes.

 

Je n’avais pas de mal à dénicher des amants. Quand je jouais mon rôle de gamin déluré, j’étais agréable et sociable. Je commençais à être connu dans le milieu, et parfois je me faisais un peu entretenir par les vieux, je bouffais dans de bons restos et on me payait des produits de beauté. Je n’arrivais pas à rester seul, il me fallait quelqu’un en permanence pour pouvoir me remplir. Sinon, je restais au lit ou je tournais en rond, l’angoisse dans ma poitrine, en ville, dans les grandes surfaces, sans but.

J’arrivais quand même à donner le change auprès de gens importants, à avoir l’air à peu près normal quand il le fallait vraiment, par exemple à certains des rares cours que je ne séchais pas. Mais cela m’usait tellement d’énergie d’avoir à me réunir en une personnalité apparente quand je ne pouvais pas être le gamin insolent que mes amants connaissaient, que je pouvais m’affaler après n’importe où, en m’asseyant par terre, ou dans une station de métro, la tête sur les genoux.

Mon air de gosse paumé m’attirait alors tous les cinglés du coin. C’est fou ce que j’avais la cote avec les pervers. Ca me troublait, car je comprenais leur fonctionnement, je savais ce qu’ils ressentaient. Je devais lutter de tout mon être pour ne pas me confondre avec eux, d’autant plus qu’on avait des points communs. On errait sans cesse, et j’avais moi-même une sexualité déviée. J’ai eu de la chance qu’il ne m’arrive pas de gros ennuis. Une fois, un mec m’a forcé le soir à sucer sur un parking, mais bon, rien de plus.

Je me suis mis à fumer des joints toute la journée. Les premières fois, mon angoisse perpétuelle s’en était trouvée atténuée, et je continuais à fumer en permanence, fidèle parce que nostalgique  à ce bien être du départ. Pourtant, les joints ne faisaient souvent qu’accroître mon sentiment de dissolution totale. Dans le milieu, c’était facile de se procurer des trucs, et une fois, à une soirée, j’ai cru faire une crise cardiaque comme mon père mort l’année d’avant,  avec les mélanges que j’avais fais. Du jour de son enterrement, je me souviens seulement que j’étais tellement défoncé que j’avais du mal à m’empêcher de rire. Je ne savais plus ce que je sentais à force de trop sentir.

Les connaissances du milieu avec qui on passait notre temps à trouver des vieux pour se faire entretenir, à baiser et faire la fête, commençaient à se ranger. Ce n’étaient pas des amis, mais ils m’occupaient l’esprit. Certains d déménageaient plus en périphérie de la ville, là où c’est plus calme. Je me sentais trahi, car moi j’aimais cette vie, la seule qui me fasse oublier. Je ne me voyais rien faire d’autre, et je restais irréductiblement au centre à coté des bars. J’aimais être l’enfant chéri de tout le monde, étonner par des remarques cyniques qui contrastait avec ma juvénilité, je n’étais pas prêt à renoncer à mes prérogatives.

Ca faisait un an que j’en foutais pas une, et ma mère me répétait que je ne pouvais plus continuer comme ça. Pourtant, je subvenais quasiment tout seul à mes besoins sans qu’elle se demande comment je faisais. Mais la société dans laquelle elle évoluait devais lui faire ressentir comme une honte mon échec scolaire. Alors j’ai donné le change, comme je l’avais fait à l’école jusqu’au bac. J’ai choisi une matière littéraire où à part réfléchir aux moments stratégiques, il n’y avait pas grand chose à bosser.

Socialement, je me disais que je survivrai avec les même procédés qu’au collège et au lycée. Même si je pouvais être agréable et drôle, je n’étais pas assez charismatique pour être un leader, mais je devenais l’ombre de ces derniers. Les petits chefs impulsifs étaient toujours fascinés par mon calme apparent dans nos conversations privées,  et par la façon dont je les comprenais. Ils me prenaient ainsi sous leur aile. En groupe, j’étais un peu fade(en fait, je ressentais une somme d’interactions sociales, de jeux de pouvoir, qui me paralysaient), mais dans une conversation seul à seul, je faisais merveille. Les « puissants » devenaient dépendant de ma présence, de mes conseils et de mon écoute. C’est pourquoi malgré mon autisme profond, je m’en suis toujours bien sorti à l’école. Même si en groupe, je ne payais pas de mine, les autres savaient par une sorte d’accord tacite, qu’il ne fallait pas me toucher, car j’étais toujours le grand ami secret des meneurs. J’avais quand même des limites, et je ne choisissais pour protecteurs que ceux dont je sentais que la morale n’était pas uniquement basée sur le droit du plus fort. Je me suis dit que je ne m’y prendrai pas autrement à la fac, mais je n’en eus pas l’occasion. Les étudiants s’y croisaient sans lier de réels contacts, et je ne désirais pas faire d’effort pour qu’il en soit autrement. J’étais plus à l’aise dans cet univers anonyme où j’étais moins affecté en permanence par les autres. Mes aventures suffisaient encore pour remplir ma vie.

Je ne sais même pas comment je réussissais à avoir mes exams, avec mon cerveau troublé. Sur 4h de dissertation, je n’étais pas capable de me concentrer plus d’une demi-heure. Ensuite, je ne faisais que de l’écriture automatique. L’ambiance de la salle de classe m’écrasait trop pour pouvoir procéder autrement. Après le devoir, j’étais absolument incapable de parler avec les autres de ce que j’avais pu écrire sur ma copie. Mais le miracle, c’est que ça marchait. Je ne sais même pas comment j’ai fais pour me retrouver avec des diplômes en ayant la culture la plus en friche qu’on puisse imaginer. Je suis capable d’échanger des idées abstraites, parce qu’elles sont dénudées d’une quelconque teinte affective(enfin, disons qu’elles sont censées être ainsi, car je n’arriverai jamais à considérer quoi que ce soit de façon totalement neutre.) Elles restent pour moi les productions les moins dangereuses que peut faire naître mon esprit, c’est pourquoi j’ai un don naturel pour les manier. Mais je ne sais rien faire d’autre. J’ignore jusqu’à ma gauche et ma droite, et j’ai un mal fou à me repérer dans l’espace.

Heureusement, je n’ai plus de famille à part ma mère, cela m’évite d’avoir à rendre des comptes. De toutes façons, ma famille ne m’évoque encore aujourd’hui que des images mornes et cérémoniales.

 

Ceux du milieu de ma génération se disséminaient de plus en plus, et avec mes 23 ans, je commençais à être l’un des plus vieux, bien que ma jeunesse adolescente reste intacte.

Une connaissance me disait sans cesse en plaisantant : « méfie-toi, tu es comme Dorian Gray, ta jeunesse va tomber d’un coup !! » Et je vivais dans cette angoisse.

J’avais un prof qui me plaisait beaucoup, Trowa Barton, que je sentais homo. La trentaine élégante, une musculature qu’on devinait longue et fine, de grands yeux verts, une présence un peu rigide mais terriblement attirante. Je lui ai écrit une lettre enflammée sans penser un mot de ce que je lui disais. Mais ça l’a ému, et on a commencé à se fréquenter. Je lui parlais de mes penchants masos, en prenant des airs frondeurs et libérés. Il a eu alors une réflexion qui m’a empêchée de recommencer par la suite de manière aussi effrénée, et qui a éveillé en moi des sentiments très puissants à son égard :

« Mais tu n’étais pas libéré comme tu le croyais, Quatre. Peut être même que tu étais un peu frigide pour en arriver à faire des choses si extrêmes afin de ressentir quelque chose. Personnellement, je ne trouve pas que ce que tu me raconte soit réellement provocant.

C’est même assez banal finalement, et plutôt triste non ? »

Cette phrase a été comme un déclic.

Trowa me disait qu’il m’aimait C’était la première fois que l’amour ne m’apparaissait pas comme quelque chose d’hypocrite pour se faire croire qu’on a une intention plus noble que le sexe.

Il me disait des choses, comme : «  j’aime être à tes côtés, Quatre, parce que tu es attentif à l’essentiel. »

Sa seule présence provoquait des crépitements dans tout mon corps. Paradoxalement, je ne couchais pas avec lui. Il a senti que cela me serait bénéfique et n’a jamais rien tenté. Je lui en été absolument reconnaissant. J’arrivais à oublier, mais dans le bien être cette fois.

Je devenais trop dépendant de sa présence qui compensait tous mes excès antérieurs. Mais lui était très autonome malgré l’affection qu’il me portait, trop occupé. Ma vie c’était de l’attendre, et cela a fini par lui mettre une telle pression que je le sentais s’éloigner. J’en souffrais tellement que j’ai rompu la mort dans l’âme, avant qu’on en vienne à faire tenir debout ce qui était déjà mort.

Cette relation m’a donné définitivement l’envie de me détacher de mes anciens réflexes, et d’avoir des rapports sincères.

Il y a eu alors un autre garçon avec lequel j’échangeais des idées dans mon cours. Nous avons fini par être amoureux l’un de l’autre. Un chinois d’un an plus âgé que moi, dont la noblesse des traits me rappelaient mon professeur, sans pour autant qu’il ne lui serve de substitut. J’aimais Wufeï passionnément pour ce qu’il était, j’aimais son corps, sa peau douce.

Pourtant, le sexe ne s’est pas bien passé entre nous. Je n’arrivais pas à me donner véritablement, j’avais l’impression que je mourrais bel et bien si cela m’arrivait, que ce serait trop intense, et que je pourrais véritablement devenir schizo. C’est aussi pour me protéger d’une telle éventualité que j’avais eu des relations sexuelles si codifiées, si ritualisées avant, je m’en rendais compte à présent.

Je me sentais pourtant changer, j’avais même souvent envie de le prendre, de pénétrer physiquement son intimité, mais sans jamais arriver à concrétiser ce désir personnel et profond. Avec Wufeï, j’étais au lit comme une petite poupée mécanique qui récite sa leçon, et cela lui devenait insupportable. Et puis malgré mes efforts pour évoluer, j’étais certainement trop corrompu, et lui trop droit. Nos différences qui nous semblaient charmantes au départ, devenaient pesantes, sujet à conflits perpétuels.

Il me trouvait évaporé, et son intransigeance me parut bientôt infernale.

Ce qui nous divisait se retrouvait dans notre incompréhension sur nos goûts artistiques respectifs : il avait une aversion immense pour l’art contemporain qui me séduisait, moi, énormément. Je comprenais ce qu’on pouvait reprocher de mondain et snob à cet univers. Mais ce qui continue de me plaire dans l’art contemporain, c’est qu’on ne puisse pas catégoriser ces productions, qu’elles échappent à la connaissance. Je n’arrivais pas à déchiffrer ces trucs hybrides, souvent laids selon des critères classiques, et c’est justement ce qui m’attirait. J’aimais ce qui me fuyait, et Wufeï, lui, aimait à catégoriser, aimait la rigueur à la limite de la rigidité, aimait la peinture classique. Elle était pour lui comme une énigme infinie, mais dans le déchiffrement de laquelle on a au moins l’impression de progresser.

Toute chose devait être pour Wufeï distincte et bien définie. Moi, j’aimais penser que les choses se confondent tellement les unes dans les autres, qu’elles restent indéfinissables.

Là encore, je pris les devants pour rompre, et ma souffrance de le perdre, de perdre ce garçon si droit qui me donnait tant de repères, a été une perte difficilement surmontable.

Je recommençais à ne plus vraiment aller en cours. J’essayais de trouver du boulot, mais je devais donner l’impression de trop planer, et mes diplômes littéraires n’arrangeaient rien. Souvent, j’avais envie de partir, de trouver un beau paysage qui me domine complètement et de m’y laisser mourir. La faim et la soif ne me faisaient pas peur, j’oubliais régulièrement de m’alimenter ou de boire sans m’en rendre compte, tant mon corps m’était lointain. J’étais incapable d’expliquer au médecin où j’avais mal. Parfois j’y allais pour rien, et parfois je me rendais compte que j’étais malade à crever depuis plusieurs jours sans m’en être aperçu.

 

Et puis il y a un peu plus d’un an, j’ai rencontré mon ami actuel, Duo, au cours d’une soirée étudiante à laquelle j’ai fais l’effort de me rendre. J’appréciais énormément son esprit et son physique, mais dès le départ, je ne l’aimais pas autrement qu’en ami. Je ne ressentais pas cette force en moi, douce et intense, tellement profonde, que Trowa et Wufeï m’avaient apporté. Mais c’est ce que je voulais, quelque chose de stable, qui ne me dévaste pas. La bonne humeur de Duo, malgré le désarroi qu’elle cache et que j’ai senti immédiatement, était suffisamment enveloppante pour me procurer ce bien être d’une vie sans aspérité. J’ai du désir pour lui, et je n’ai pas peur de le prendre, de le posséder physiquement.

J’ai passé à ses côtés des moments très agréables, je ne me suis pas ennuyé.

Mais le temps me fait peser cette absence de sentiments forts, et je sens ma jeunesse se flétrir.

Pourtant, je ne peux pas quitter Duo, car il m’apporte quelque chose d’irremplaçable, la capacité à vivre un quotidien à peu près normal.

J’ai abandonné mes études littéraires, et effectué une formation professionnalisante. Aujourd’hui, je suis vendeur dans une grande chaîne capitaliste. Rien de très prestigieux, mais nerveusement, même si je suis plus résistant, je ne peux ambitionner mieux pour le moment. Duo pense sincèrement que j’irai loin. C’est vrai que mes anciennes aventures m’ont donné quelques relations haut placées et avides de me revoir, notamment dans un certain milieu artistique parisien. Ces possibilités qui s’offrent à moi sont confortées par mon attrait naturel pour l’art contemporain. Et ma facilité à me faire « l’ombre des puissants » ne s’est pas démenti.

Duo me dit souvent, mi-sérieux, mi plaisantant, que lorsque je serai plus fort, je ferai parti de la « jet society. » J’ignore encore si je suis définitivement assez blasé pour achever de me désenchanter dans un tel milieu.

Duo a su noyer mes angoisses, me faire prendre du recul par rapport à mes sentiments fusionnels et à ma capacité d’absorber le monde entier. Je ressens encore les autres avec de l’intuition et une grande acuité, mais sans que cela m’atteigne vraiment.

Duo a été suffisamment rassurant pour que je puisse me forger à ses cotés une personnalité tangible, pour que je sois capable de me séparer des autres. A tel point que j’arrive aujourd’hui à me raconter d’une façon cohérente, malgré ma difficulté à me concentrer. 

Je ne serai plus l’enfant chéri de mes amants, je ne serai plus dans les autres.

Il faut croire que j’ai grandi.

Aujourd’hui, j’ai 25 ans, j’observe avec angoisse dans le miroir la naissance de mes premières rides au coin des yeux.

Mais j’ai beau me concentrer, je ne sais plus si j’ai gagné ou perdu.